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La cuisine où se construit la famille – Tenzo Kyokun

Comprendre le message de Maître Dôgen dans notre spécificité ne serait-il pas de vouloir faire de la cuisine un véritable lieu où se construit et se reconstruit inlassablement la famille?


Le temps du repas est-il encore un moyen de cohésion par la communication et l’échange ? Aujourd’hui, le repas ne semblerait plus être le centre de l’organisation familiale. Le rythme familial à changé les acteurs passant plus de temps hors de chez eux, et bien même s’ils sont chez eux, ils y sont au dehors. Parler est une des preuves que l’on est encore un peu vivant, alors une famille qui se parle est une famille vivante. Toutefois il ne faut pas trop idéaliser ; ce qui se dit ou ce qui se trame autour d’une table n’est pas toujours facile à gérer. Pour qu’il y ait communication il nous faut partager des informations, mais comment faire quand ceux qui sortent au dehors ne ramènent plus forcément des informations de premières mains à ceux qui restent au-dedans ? Ce qu’il y a à manger comme ce qui est mangé ne peut-il pas être un sujet de discussion ? Le silence n’est-il pas aussi un autre genre de discussion ? Pour y répondre, il faudrait revoir ce qu’est l’enjeu de manger ensemble. Le désir de son autonomie totale fait que l’on veut bien manger, mais selon ses envies et selon son rythme ; on finit par manger chacun dans son coin, alors que manger ensemble c’est avant tout partager quelque chose. Même dans le silence – sans parole – chacun ressent le plaisir ou non des autres, se dire que l’on n’a rien à se dire ne doit pas nous amener à ne plus rien ressentir ensemble.Cuisiner communique une certaine logique, celle du don de soi sans tomber dans le scénario de celui qui s’investit le plus. La reconnaissance se lit dans le silence des assiettes et des plats vidés.

Alors comment faire en sorte que chacun soit bien dans son assiette ? Etre bien dans son assiette amène à porter toute son attention à y mettre ce qui facilitera à être à son aise. Donc produire ce qui va nous mettre bien à notre aise demande à celle ou à celui qui est en charge de la cuisine un certain degré d’engagement, une attitude et un comportement adéquats. Le rôle de cuisinier – du chef – amène à devoir choisir des types d’aliments en fonction du goût, du besoin nutritionnel, du style et du temps, car ces décisions auront des conséquences. Offrir une cuisine inventive, une cuisine expéditive – plats surgelés prêts à chauffer – une cuisine de passion mijotée ou une cuisine façon street-food ? A partir de ce choix, la famille se ré-inventera pour rester vivante. En fait, on pourrait se dire que l’avenir de la famille est entre les doigts de celui qui est en charge de la cuisine. Pour y parvenir, cela nécessite une véritable organisation, de la rigueur et de l’intelligence pour jongler adroitement entre des options nutritives, gustatives, sanitaires, économiques et surtout pour ne pas se laisser séduire par les offres des spécialistes en marketing.

Ces quelques réflexions succinctes font référence au Tenzo Kyokun de Maître Dôgen, bien que je doute fort qu’il ait su cuisiner. Selon Maître Dôgen, le cuisinier se doit de faire de sa cuisine un lieu et un art où se constitue et se reconnaît le sangha. Il ne nous suffit pas de le lire ou de le commenter, il nous faut encore réactualiser ce qu’il nous a suggéré. Une grande majorité d’entre nous ne vivons pas en communauté monastique, mais en famille ; comprendre le message de Maître Dôgen dans notre spécificité ne serait-il pas de vouloir faire de la cuisine un véritable lieu où se construit et se reconstruit inlassablement la famille?