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Se dédier à l’essentiel.

Le rituel et les normes de vie communautaire, comme toutes manifestations de l’esprit d’Eveil, sont du domaine de l’accidentel qui peut ou ne pas être, sans pour autant que le désir de l’esprit d’Eveil en soit affecté. Notre désir d’individuation – ce désir de l’émotion motivée – nous interdit l’objectivité, donc de percevoir l’essentiel. Se dédier à l’essentiel ne se résume pas en un vouloir un maître qui ne nous demanderait rien et surtout pas de nous remettre en question.


Voilà une périphrase qui porte, mais on ne sait pas bien quoi, si les termes « dédier à » et « essentiel » ne sont pas clairement définis. Le terme « se dédier à » contient les notions telles que « se mettre sous le patronage de » ou encore « se consacrer à », « se dévouer à » et puis aussi « offrir ». Pour ce qui est du terme « essentiel », il a pour racine « essence » (nécessité). Habituellement, « essentiel » est utilisé pour désigner ce qui est perçu comme fondamental, tout en ne perdant pas de vue que ce qui est perçu dépend du regard que nous portons sur l’objet. « Fondamental » ramène à ce qui sert de fondement, alors on comprendra qu’une fois enlevé ce qui est essentiel ou ce qui sert de fondement, l’objet qu’il constitue se dérobe. L’essentiel est ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est, ou encore ce qui caractérise une façon d’être de manière nécessaire.

A quel essentiel doit-on se dédier ? A quel essentiel se consacrer, se dévouer ? Quel essentiel offrir ? Avant même d’esquisser une réponse, il conviendrait tout d’abord de se poser la question de savoir si la façon d’être réside plus dans la démarche que dans le contenu que l’on aurait élaboré ou hérité ? Maître Dôgen, en préconisant de se dévouer à maintenir le désir de l’esprit d’Eveil, pencherait-il plus pour la démarche que pour le contenu ? Maintenir ce désir de l’esprit d’Eveil est une capacité d’exister en tant qu’expérience de l’impermanence, et elle ne saurait être séparée de l’essence originaire : l’Eveil. Est-il envisageable d’invalider cette notion du désir dans cette idée de Maître Dôgen pour ne garder que la notion d’Eveil ? Abolir ou invalider le désir, dans cette recommandation de Maître Dôgen, reviendrait à se débarrasser de ce désir que Spinoza désigne aussi comme essentiel. Il est toutefois possible d’agir en ne se référant qu’à la connaissance des causes de notre souffrance et aux solutions préconisées, sans pour autant maintenir le désir de l’esprit d’Eveil. Mais on ne serait plus dans la perspective de la Voie et dans un style de Vie Bouddhique.

Cela serait autre que de cantonner l’essentiel au personnel pour lui donner une note d’individuation du désir d’Eveil. On veut pratiquer utile, si bien que « dédier à » se comprend comme « réservé et affecté à un usage particulier ».

Le rituel et les normes de vie communautaire, comme toutes manifestations de l’esprit d’Eveil, sont du domaine de l’accidentel qui peut ou ne pas être, sans pour autant que le désir de l’esprit d’Eveil en soit affecté. Notre désir d’individuation – ce désir de l’émotion motivée – nous interdit l’objectivité, donc de percevoir l’essentiel. Par exemple, certains pensent que les rituels sont un obstacle à leur épanouissement spirituel et ces pensées les conduisent plus à la remise en cause qu’au doute cartésien, et au lieu d’agir sur ou avec en toute connaissance de causes, ils préfèreraient que les rituels qui les interpellent soient abolis. Pour abolir les rituels, on peut toujours argumenter en se fondant sur les dires de Bodhidharma ou de St-Jean-de-la-Croix. Remettent-ils en questions le rituel ou un certain esprit qui porte au rituel ? Pour St-Jean-de-la-Croix, par exemple, c’est l’esprit imparfait qui porte à la recherche de rituels comme jouissance spirituelle et cet esprit comparable à l’esprit égaré qui recherche la jouissance matérielle est à proscrire. Dans le Zen, c’est le symbole que l’on se choisit et que l’on traduit par une dévotion sous la forme de préparation, de recherche, d’entraînement, pour obtenir un état subtil – émotion motivée – qui est à écarter.

Pourquoi ? – Parce que l’on est dans le domaine du cliché mental ou social et rien d’autre. L’essentiel étant de maintenir le désir de l’esprit d’Eveil, il ne peut être l’expression de la pensée ou l’expression de l’émotion motivée du soi. Pourquoi ? – Ce qui est essentiel appartient à la chose, mais pas à l’idée que l’on s’en fait. Ce qui est essentiel peut être, sans que nous puissions savoir ce que c’est ni savoir qu’en faire.

Maintenir le désir de l’esprit d’Eveil demande que ce qui est transmis ne dépende pas de rituels qui donneraient une atmosphère magico-religieuse ou d’un décorum attachant l’individu à la pratique, tout comme l’abolition des rituels ne devrait pas être dictée par le souci de plaire à celles et ceux qui sont en quête d’une pratique à la carte ou à la recherche d’un lieu permettant l’expression d’émotions motivées.

Maintenir le désir de l’esprit d’Eveil ne demande pas de transformer les lieux de pratique en boîtes-à-zen. Se dédier à l’essentiel ne se résume pas en un vouloir un maître qui ne nous demanderait rien et surtout pas de nous remettre en question. Le désir de l’esprit d’Eveil – l’essence de la pratique – est une certaine fidélité dans l’expérience pour parvenir à la vérité dans le réel, à l’essence originaire : l’Eveil. C’est à cette fidélité dans l’expérience de la Voie que l’on devrait se consacrer puis l’offrir, tout en sachant que cette fidélité peut être réactualisée. Comment ? – En marchant au pas du Maître, sans chercher à marcher dans ses pas, et le rejoindre là où il est, mais sûrement pas là où l’on aimerait qu’il soit. S’approprier un peu ce qui a su être et qui rayonne dans cette relation de Maître à disciple.