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Vouloir l’harmonie, manager autrement

Peter Drucker disait que s’il y avait une personne à diriger cela ne pouvait être que nous – lavons le riz, préparons les légumes nous-mêmes avec sincérité et soin, sans nous disperser un seul instant. D’où le fait que transmettre devient le style de management. Ce n’est plus seulement ordonner, exiger. Dôgen interroge: – Pourquoi ne confiez-vous pas cette tâche à un postulant ou à un serviteur? La réponse est aussi sans détour.


Vouloir l’harmonie et la pureté ne doit en aucun cas nous faire perdre le sens de la réalité. La recommandation de Maître Dogen est sans détour. Dans le discours populaire, avoir le sens de la réalité, c’est voir le monde au travers de la normalité. N’y aurait-il pas une autre grille de lecture où ce sens serait une capacité d’agir en qualité de ce que nous sommes et qui n’aurait rien à faire avec le rendement, l’autorité, la compétence, même s’ils en sont une composante?

Nous pourrions ainsi avoir un sens de la réalité qui serait de renoncer à se modeler suivant une panoplie de critères, de modèles, pour renouer avec soi-même.

Pour se sentir bien – question d’estime de soi – est-il nécessaire de vouloir qu’il nous soit confié un rôle que nous jugeons être à notre mesure? Ne sommes-nous pas trop sensibles à l’identité? Sommes-nous conscients de l’ampleur de la tâche? Cela demande une certaine honnêteté envers soi-même. Et pourquoi donc? Seulement pour ne pas plonger dans l’enfer de la contrariété. Voici ce que nous livre Maître Dôgen: – Même si la tâche du cuisinier est la pratique de la Voie, elle n’en est pas moins harassante. Celui qui occuperait cette fonction sans l’esprit de la Voie n’y verrait qu’astreintes et mécontentement. Il ne serait d’aucune utilité à la communauté. L’idéal serait de ramener sa pratique – sa vie – à ce qu’elle a de plus simple. Cela n’enlève d’aucune manière au fait que l’on puisse exercer ce que l’on fait de mieux.

Cette voie-là devient une qualité, celle de l’esprit pertinent. La pertinence demande que l’on soit présent à soi et aux autres. C’est cela la réactualisation – en s’harmonisant aux circonstances, en apportant selon les saisons ce dont les moines ont besoin, le cuisinier réactualise. Comment acquérir cette pertinence pour que, dans la vie quotidienne -l’ ordinaire grand ou petit – nous soyons utiles? En êtant tout simplement l’action de notre propre vie qui maintient ce qui se passe présent. Dans un univers où la compétence se juge plus sur le paraître que sur les actes, celui qui a fait le choix d’être, se différencie par le fait qu’il ne peux plus prétendre – parce qu’il occupe une fonction de responsabilité – faire travailler les autres par tous les moyens, sous prétexte qu’il délègue. Cet homme qui agit de la sorte est l’homme de Kennin-ji. Le cuisinier doit être présent de la préparation jusqu’à la cuisson du riz, même s’il a sous ses ordres un assistant ou des aides. C’est à ce moment-là qu’il peut transmettre son expérience.

Peter Drucker disait que s’il y avait une personne à diriger cela ne pouvait être que nous – lavons le riz, préparons les légumes nous-mêmes avec sincérité et soin, sans nous disperser un seul instant. D’où le fait que transmettre devient le style de management. Ce n’est plus seulement ordonner, exiger. Dôgen interroge: – Pourquoi ne confiez-vous pas cette tâche à un postulant ou à un serviteur? La réponse est aussi sans détour: – Parce qu’ils ne sont pas moi.

Un nouvel ordre, celui de ne plus être factice, s’installe dans le désordre de l’esprit. Nous reconnaissons ce que nous sommes et nous sommes reconnus pour ce que nous sommes. Ce n’est pas pour autant qu’il faille croire que le zen accepte tout. Une certaine éthique s’installe, celle d’être nature et Maître Dôgen de dire: Ceux qui ont pour habitude de changer d’avis, d’attitude ou de langage en fonction de leur interlocuteur ne sont pas des personnes de la Voie. Ainsi, préserver une certaine valeur morale qui demande que le paraître se confonde avec l’être et réciproquement. Il n’est plus seulement question de cuire ou de consommer, mais aussi d’offrir ce que l’on a de mieux en nous, «les mérites accumulés». Dans le Tenzokyokun, on peut lire ceci: -Nous devrions assumer notre tâche à chaque instant, avec la ferme intention de venir en aide à tous, en utilisant les mérites que nous avons accumulés depuis des temps immémoriaux. Si nous considérons chaque chose avec cet esprit, alors nous vivrons comblés.