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Shin Jin Datsu Raku

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La beauté du geste est la beauté du corps. Le geste abouti est ce qui a de plus beau dans l’être, vouloir un sauvetage du corps pour garder son image sociale, n’est que maladie de l’esprit.Il n’est pas nécessaire de contraindre le corps et l’esprit à la souffrance tout ou en construisant un artifice.


C’est dans les Carnets de Chine que Maître Dôgen relate les faits qui l’amenèrent à comprendre le sens de Shinjin Datsu Raku – abandonner le corps et l’esprit.

Cette maxime n’est pas aisée et devrait susciter de notre part un questionnement, celui de savoir si nous l’avons bien intégrée. Car il ne faudrait pas que l’acte d’abandonner le corps et l’esprit devienne une aliénation ou une régression.

Pour Platon, donc pour notre civilisation Judéo-chrétienne, le corps est cette chose qui ne veut pas être dominée et comme c’est avec lui que nous entrons un rapport avec le monde, il est impératif de le soumettre à l’esprit. C’est ainsi que nous percevons la libération de notre corps. Le soumettre à son esprit, c’est vouloir le contenir. Ce faisant, on finit par être mal et on tend vers le rigorisme, bien qu’il soit nécessaire parfois de le faire pour ne pas basculer dans la violence. S’en libérer, c’est l’abandonner à l’expression de ce qu’il est totalement, l’accepter tel qu’il est. Le vouloir autrement, c’est nier sa fragilité alors que l’on devrait lui conférer toute notre attention.

C’est du corps que paraît l’expression de notre être, et pour certains cela justifie qu’il soit réparé, contenu, caché, gommé. Alors qu’il nous faudrait le ré-habiter et lui permettre d’exprimer ce pourquoi il est fait : le geste. C’est du geste que l’on échappe de la prison que l’on fait de son corps. La beauté du geste est la beauté du corps. Le geste abouti est ce qu’il y a de plus beau dans l’être.

Il n’est pas nécessaire de contraindre le corps et l’esprit à la souffrance, en contenant tout ou en construisant un artifice. Vouloir un sauvetage du corps pour garder son image sociale, n’est que maladie de l’esprit. La libération du corps passe par la libération de l’esprit et vice-versa. Libérer l’esprit de cette envie de vouloir contenir le corps, lui donner l’espace pour l’expression du geste abouti. Le geste abouti libère le corps et l’esprit se sent mieux. Un esprit moins soucieux de paraître donne sa dimension vraie au corps.

Abandonner le corps et l’esprit, c’est libérer le corps et l’esprit pour faire l’expérience de son éternel inachèvement et de ses infinies possibilités d’égarement – l’oubli de soi. Ainsi, abandonner le corps et l’esprit c’est se donner le droit d’être soi-même. Lors de la pratique, tant que l’on n’est pas parvenu à cette acceptation d’être ce que l’on est – parce que nous sommes soucieux de ce que nous représentons pour la pratique et ce que la pratique représente pour nous -, le chemin est perçu comme réparation. Se réparer pour paraître socialement correct et échapper ainsi à sa solitude. Abandonner le corps et l’esprit, c’est l’expression de ce qui est vrai. Ce qui est vrai en nous, nous bouleverse et notre regard sur nous et sur les autres finit par se transformer. Le seul rapport que l’on finit par entretenir avec le monde devient alors l’amour de la vie. Ce que l’on est socialement n’a plus d’importance, ce que j’amasse pour moi seul n’a plus d’importance, je me risque à partager ce qui prend racine dans ma pratique, je renonce à cette affirmation de soi qui n’est que déguisement et bavardage. Je vis ce qui est, de façon à accepter l’imprévisible pour l’amour du geste vrai, et c’est dans l’oubli de soi que cela est possible. Abandonner le corps et l’esprit n’est que s’oublier soi-même.