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Qui suis-je ? Ou l’absurdité de la quête de la représentativité et de l’approbation.

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  • Post category:Kusen

La question ne se pose pas pour se connaître, mais souvent pour se choisir un paraître. Pourquoi a-t-on choisi ce maître-ci plutôt que celui-là ? Pourquoi avoir choisi ce sangha-ci plutôt que celui-là ? Pourquoi cette Voie-ci plutôt que cette Voie-là ?


Lorsque l’empereur de Chine pose la question à Bodhidharma : Qui es-tu ? L’histoire relate que ce dernier lui répondit qu’il ne le savait pas.

On pourrait croire que la question « qui suis-je ? », se doit d’être résolue pour esquisser une réponse à ce « qui es-tu ? » d’un autre. Mais cette question « qui suis-je ? » peut ne s’être posée que pour cerner l’importance de ce qui ne devrait pas être perçu par l’autre – qui n’est rien d’autre que vouloir donner une image choisie de soi-même. Cette question pèse sur les épaules de ceux qui sont trop sujet à la reconnaissance d’un système – très sartrien comme vision. Le « qui suis-je ? » ne devient rien d’autre qu’une anticipation du « qui es-tu ? » qu’assènera ou pas l’autre. C’est dans le désir d’effets à produire sur autrui que la réponse au « qui suis-je ? » prend inévitablement racine parce qu’elle en est originaire. La question ne se pose pas pour se connaître, mais souvent pour se choisir un paraître. A-t-on conscience de la question du « qui suis-je ? ». Elle se pose à nous trop souvent pour répondre à notre besoin d’une reconnaissance ou d’une approbation.

Vouloir être reconnu ou avoir une approbation comme celle de faire effet est légitime. Mais a-t-on vraiment conscience que si ce vouloir est associé à celui de l’imposture – l’imposteur est celui qui adopte une double posture – on s’engage dans une relation polluée ? La double posture peut être de ne pas s’avouer à soi-même que l’on a fait le choix de la dite pratique comme une fin en soi de reconnaissance ou d’approbation, et non comme moyen pour inscrire sa vie dans une pratique permettant de la porter au-delà de l’ordinaire. Pourquoi s’engage-t-on dans l’imposture alors qu’il serait souhaitable d’oublier ce que l’on croit être et ce que l’on croit devoir être ? Pourquoi donc choisit-on d’être sous le feu du regard d’autrui au lieu d’être autonome et libre ? Pourquoi choisit-on plutôt le « paraître » que le « se montrer » ? Pourquoi perdre son temps à vouloir être perçu pour ce que l’on n’est pas alors que là – dans l’espace et le temps – tout ce qui est se montre tel quel ? Nous devrions nous efforcer de répondre à ces questions.

Bodhidharma était-il un imposteur ? Est-il envisageable de penser que Bodhidharma soit venu en Chine dans le but d’une reconnaissance quelconque et non dans celui d’inscrire la pratique concrète comme moyen de libération de la souffrance ? La question de l’empereur de Chine et la réponse de Bodhidharma nous interpellent. A savoir, répondre au « qui suis-je ? » demande que l’on sache pourquoi on est là. Pourquoi a-t-on choisi ce maître-ci plutôt que celui-là ? Pourquoi avoir choisi ce sangha-ci plutôt que celui-là ? Pourquoi cette Voie-ci plutôt que cette Voie-là ? Pourquoi souhaiter que l’autre ne sache pas ou ne perçoive pas ce qui est montré au-delà du paraître?

Le « je ne sais pas » de Bodhidharma est l’ouverture à ce qui est devant lui en acceptant une interaction avec l’empereur de Chine sans masque – ce qui ne veut pas dire sans respect. Le respect est ce qui permet l’espace d’égalité, d’intensité et d’inventivité. Se refuser le droit de connaître l’intensité, l’inventivité par la relation authentique avec l’autre et avec soi-même, c’est ne pas se connaître. Se connaître implique qu’il soit laissé à l’autre et à soi-même le droit de ne pas nous comprendre réciproquement.

Faire de la Voie une affaire de représentativité et d’approbation est absurde, tout comme prétendre entreprendre la Voie sur un pari à l’instar de Pascal est une imposture. Alors que l’on sait que se laisser porter par la Voie, ou laisser le Dharma agir en soi est le ticket gagnant. Alors que le vrai pari non avoué – d’où imposture – n’est que s’assurer de l’obtention d’une reconnaissance, d’une approbation et d’une représentativité – que l’on croit à tort plus aisé dans un petit sangha. Ne perdons pas de vue ceci : –  »le « je suis originel » naîtra ou ne naîtra pas de la relation de vous à moi et de moi à vous. Mais sûrement pas de vos aspirations à vouloir forcer autant la Voie que moi à vous légitimer dans l’imposture.  »